Prof. Eva Lion

Prof. Eva Lion

Vaccin thérapeutique, un espoir pour les cancers à mauvais pronostic.

Grâce à la recherche contre le cancer, de plus en plus de personnes survivent à leur cancer. Malheureusement, il subsiste des cancers rares ou difficiles à traiter pour lesquels le pronostic est très mauvais. Le pr Eva Lion et son équipe étudient les vaccins thérapeutiques comme nouvelle piste de traitements afin de transformer l’espoir en victoire. Les résultats obtenus ces dernières années, grâce notamment au soutien financier de la Fondation contre le Cancer, s’avèrent prometteurs.

Parlez-nous de votre motivation en tant que chercheur

Qu’est-ce qui vous a donné l’envie de vous lancer dans la recherche sur le cancer ?

Je suis une scientifique dans le domaine biomédical spécialisée en « immunologie ». L’un des principaux domaines de cette spécialisation est la recherche sur le cancer. J’ai toujours été intéressée par la recherche et particulièrement passionnée pour trouver des réponses aux questions pourquoi et comment afin de résoudre les problèmes.

Qu’est-ce qui vous motive particulièrement à poursuivre vos recherches ?

Ma motivation se résume à un seul mot : impact. La recherche contre le cancer est un domaine enrichissant ayant un impact social pertinent. Quand je vois ce que la participation à une étude clinique apporte au patient d’une part, mais aussi à une équipe de recherche d’autre part en offrant une thérapie alternative avec une chance d’amélioration là où il n’y a pas d’autres options, c’est extrêmement motivant.

Dans le cadre de vos recherches, quels types de cancer vous intéressent et pourquoi ?

Nos recherches sont axées sur les tumeurs rares ou difficiles à traiter, principalement de cancers dont le pronostic est très mauvais. En d’autres termes, les patients pour lesquels les options de traitement sont inadéquates. Nous mettons l’accent sur les thérapies cellulaires pour, entre autres, la leucémie myéloïde aiguë, un cancer du sang. Cette maladie qui, malgré un certain nombre de bonnes options de traitement, n’a qu’un taux de survie à 5 ans inférieur à 30 %. La majorité des patients finissent par rechuter. C’est là que nous mettons en place notre immunothérapie.

Les résultats des études cliniques commencés en 2005 ont indiqué que l’immunothérapie cellulaire que nous avons développée est réalisable et sûre chez les patients atteints de leucémie myéloïde aiguë (après un traitement standard).

Dans la phase suivante, nous avons appliqué cette stratégie thérapeutique à d’autres types de cancer dont le cancer de la plèvre (mésothéliome ou cancer lié à l’amiante), pour lequel nous avons reçu le soutien de la Fondation contre le Cancer pour plusieurs projets consécutifs. Nous avons également des résultats prometteurs pour les tumeurs cérébrales malignes chez l’adulte en association avec le traitement standard. Nous lançons cette année une nouvelle étude pour les enfants atteints de tumeurs du cerveau et du tronc cérébral.

Les taux de survie pour ces cancers sont faibles et nous poussent à innover dans nos travaux.

Pouvez-vous expliquer ce qu’est un vaccin thérapeutique, comment il fonctionne et pourquoi il est important pour les patients ?

Un vaccin, est une préparation biologique qui permet à l’organisme d’apprendre à reconnaître un agent infectieux en stimulant le système immunitaire. Il a un rôle préventif. Un vaccin permet au corps qui entre en contact avec cet agent infectieux, de réagir rapidement pour le détruire et l’éliminer.

Contrairement à un vaccin préventif, un vaccin thérapeutique est utilisé pour traiter une maladie. Le principe est le même : le vaccin va apprendre à l’organisme à reconnaître la maladie, à la limiter, voire l’éliminer. Il existe différents types de vaccins thérapeutiques, qui ont tous pour but de stimuler l’organisme à détruire le cancer.

Les cellules cancéreuses sont à l’origine des cellules de l’organisme qui ont développé des moyens de ne pas être reconnues comme étrangères par le système immunitaire ou même de le neutraliser. Ces cellules cancéreuses ont le champ libre pour se développer et causer des dommages. Avec un vaccin thérapeutique contre le cancer, nous voulons « réparer » et stimuler le système immunitaire afin qu’il puisse détecter correctement les cellules cancéreuses, empêcher le développement de nouvelles cellules cancéreuses mais aussi attaquer et éliminer le cancer.

Quels types de vaccins sont utilisés pour quelles tumeurs ?

Nous utilisons une thérapie cellulaire appelée thérapie par cellules dendritiques. Nous prélevons des cellules dendritiques (qui sont des cellules immunitaires) dans le corps du patient. En laboratoire, elles sont cultivées et chargées avec un « marqueur de cancer » que le système immunitaire doit apprendre à reconnaître comme étant étranger. Le « marqueur de cancer » – que nous pouvons considérer comme un petit drapeau – que nous utilisons est l’antigène Wilms’ tumor 1 (WT1). Il s’agit d’une protéine qui, dans certains cancers, est surexprimée à l’intérieur de la cellule, mais n’émet pas un signal suffisant pour être perçue par l’organisme. L’objectif de la thérapie cellulaire est de pouvoir capter ce signal.

Après environ huit jours en laboratoire, les cellules immunitaires thérapeutiques sont prêtes à être injectées au patient. Nous traitons actuellement des patients atteints de formes spécifiques de cancer du sang, de cancer de la plèvre, de tumeurs du cerveau et du tronc cérébral avec ce vaccin expérimental en association avec les traitements standards afin d’évaluer sa sécurité et son indication d’ efficacité.

Cela a-t-il déjà été appliqué et/ou étendu à d’autres types en dehors des 3 types sur lesquels vous travaillez ?

Le concept de thérapie par cellules dendritiques peut être appliqué avec différents marqueurs de cancer à condition de pouvoir les identifier dans les tumeurs. Ces marqueurs pourraient être utilisés de la même manière comme un signal permettant de reconnaître ces tumeurs.

Malheureusement, il n’y a pas un seul marqueur universel c’est pourquoi nous devons identifier ces différents marqueurs. Pour les types de tumeurs que nous traitons aujourd’hui avec le vaccin thérapeutique expérimental, nous savons que la majorité est positive pour WT1. C’est le résultat d’années de recherche. Il existe plusieurs groupes de recherche (inter)nationaux qui étudient d’autres marqueurs de cancer dans le cadre du même concept avec les cellules dendritiques que nous appliquons à Anvers.

Quels sont, selon vous, les défis actuels dans le domaine de l’immunothérapie et des vaccins thérapeutiques ?

Informer et communiquer correctement.

L’immunothérapie est un terme générique qui recouvre des stratégies très différentes ayant un objectif similaire, à savoir faire travailler son propre corps contre le cancer. Les moyens d’y parvenir sont divers. Il est parfois difficile d’expliquer pourquoi tout le monde n’a pas droit à l' »immunothérapie ». La thérapie peut être simple ou complexe à produire, mais il est inhérent à ces thérapies ciblées que des critères spécifiques de la maladie doivent être remplis pour espérer une efficacité. Si le vaccin peut reconnaître les drapeaux bleus, mais que le patient n’en a pas, la thérapie n’est pas d’une grande utilité.

Trouver des marqueurs universels et communs

Un autre défi est de trouver une application pour la majorité des patients qui ont aujourd’hui peu de perspectives. La recherche de nouveaux marqueurs de cancer, de préférence des marqueurs universels et communs, est un véritable challenge.

Rendre les vaccins thérapeutiques contre le cancer disponibles

La mise à disposition de ce type de vaccins thérapeutiques est un autre véritable défi aujourd’hui. L’infrastructure et les personnes nécessaires à cette fin sont hautement spécialisées et cela a un coût.

L’évolution de la législation ces dix dernières années, ajoute un poids administratif et augmente inévitablement les coûts.

Le défi ultime est de rendre ces vaccins thérapeutiques accessibles à un plus grand nombre de personnes, à des groupes de patients plus importants, mais surtout aussi en dehors des études, c’est-à-dire pour l’enregistrement des médicaments

En tant que chercheur, êtes-vous souvent en contact avec des patients atteints de cancer ? Si oui, comment cela se passe-t-il ?

En recherche clinique nous voyons des patients, mais pas au quotidien. Il est important d’identifier les besoins en termes d’efficacité de nos recherches, mais aussi en termes d’expérience thérapeutique et de qualité de vie du patient. En tant que chercheur, je peux développer une thérapie, mais si le patient doit passer par des phases qui réduisent sa qualité de vie, il n’est pas très logique de vouloir mettre ce traitement sur le marché. Il est donc important d’en tenir compte autant que possible.

Le dialogue avec les patients est très important. Début 2021, nous avons créé un comité de patients pour faciliter l’interaction autour de la recherche oncologique universitaire à l’université et à l’hôpital universitaire d’Anvers. Nous informons les patients des résultats de la recherche, nous leur demandons ainsi qu’à leurs proches de nous faire part de leurs commentaires sur les plans de recherche et sur les documents nécessaires pour informer les patients (tels que le formulaire de consentement éclairé de participation à la recherche clinique). Les objectifs sont-ils clairs et adaptés aux besoins ? Le programme thérapeutique proposé et, par exemple, le nombre de visites à l’hôpital sont-ils réalistes et acceptables ? Est-il rédigé dans un langage clair et simple afin que le patient comprenne exactement ce que signifie participer à une recherche clinique ?

Quelles sont les attentes à l’égard de votre recherche ?

Pour les études cliniques soutenues, nous espérons pouvoir démontrer que la thérapie personnalisée par cellules dendritiques peut être produite et administrée avec succès en traitement de première ligne en combinaison avec une chimiothérapie standard.

Les premières études cliniques d’une nouvelle thérapie et/ou d’une nouvelle association ont pour objectifs de vérifier la faisabilité et la sécurité.

À partir de cette étude clinique de phase initiale, avec de petits groupes de 10 à 20 personnes atteintes d’un cancer, nous espérons avoir une bonne indication de l’efficacité. Cependant cette efficacité ne pourra être démontrée que lors d’essais cliniques de phase ultérieure sur des groupes de patients plus importants.

Parlez-nous de votre recherche en cours financée par la Fondation contre le Cancer

Nous voyons des résultats prometteurs dans la recherche clinique avec l’immunothérapie cellulaire personnalisée développée. Plus précisément, en ce qui concerne la recherche clinique sur la thérapie par cellules dendritiques dans le cancer de la plèvre. Nous constatons des résultats remarquablement bons. La recherche actuelle complète le projet qui a été approuvé par la Fondation contre le Cancer il y a 4 ans. Pourquoi ? Les médecins ont été tellement impressionnés qu’ils ont souhaité traiter encore plus de patients afin d’élargir le groupe et de renforcer l’ensemble des données. Malheureusement, nous ne constatons pas une réponse aussi bonne chez tous les patients. Avec ces données, nous retournons au laboratoire pour étudier pourquoi certains patients répondent et d’autres pas.

Dans l’ensemble, ce sont les données recueillies lors des essais cliniques qui donnent « l’espoir » – tant aux patients qu’à la science – de mettre au point une thérapie efficace.

Quel est votre espoir par rapport à vos travaux de recherche ?

Mon espoir est que nous puissions atteindre les objectifs fixés : être en mesure de traduire la confiance que les patients qui participent à l’étude clinique placent dans la recherche en réponses et en impact pour les patients à l’intérieur et à l’extérieur de cette étude. Tout en étant en mesure d’améliorer les traitements en cours de développement et d’innover grâce à de nouvelles connaissances.

En quoi le financement de la Fondation contre le Cancer fait-il la différence ?

Ce n’est qu’avec le financement de projets, comme ceux de la Fondation contre le Cancer que nous pouvons transformer nos idées en réalité. C’est un fait. Engagement et visibilité vont de pair.