Qui êtes-vous (nom, fonction, titre, etc.) et dans quel centre de recherche effectuez-vous cette recherche sur le cancer ?
Je m’appelle Vincent Detours. Je suis professeur à l’ULB, à l’Institut de Recherche Interdisciplinaire en Biologie Humaine et Moléculaire.
J’ai fait des études de mathématiques et d’informatique dans les années ‘90. A la base, je voulais développer des instruments de musique électroniques et faire de la musique. Arrivé au niveau master, j’ai commencé à étudié l’intelligence artificielle. Dans les années ’90, c’était un domaine exotique de l’informatique, mais passionnant. Mes différents travaux m’ont mené dans le domaine de l’immunologie. Comme beaucoup de personnes, j’ai été touché de près par le cancer. Mon papa est décédé d’un cancer de l’œsophage. J’avais toutes ces compétences en mathématiques et en informatique et un domaine qui m’intéressait. Ma recherche s’est développée à partir de là.
J’ai arrêté de faire de la recherche pendant deux ans pour réaliser des documentaires. L’un de ces documentaires, intitulé Demain J’irai Mieux, coproduit par Arte et la RTBF, porte sur les cancers pédiatriques, et a été sponsorisé par la Fondation contre le Cancer.
Pouvez-vous présenter brièvement vos recherches à un large public ? Sur quoi porte votre recherche, quels cancers ? Sur quoi vous concentrez-vous : dépistage (prévention), diagnostic, traitement, survie ?
Mes travaux de recherche portent sur les images microscopiques des cancers et les molécules produites par les cellules cancéreuses. Je travaille donc sur des tumeurs existantes qui ont été prélevées lors d’intervention chirurgicales J’applique mes recherches sur deux types cancers, le cancer du pancréas et celui de la thyroïde. Les outils que nous développons avec mon équipe pourront s’appliquer à de nombreux autres cancers. Mon travail vise à en améliorer le diagnostic et à faire progresser la compréhension fondamentale du cancer.
À quelle percée espérez-vous contribuer avec cette recherche ? Qu’est-ce que cela signifie pour les personnes atteintes d’un cancer (ou du cancer spécifique que vous étudiez) ?
Après avoir retiré une tumeur, le chirurgien la transmet aux médecins anatomopathologistes qui vont l’observer au microscope pour déterminer de quel type de cancer il s’agit et évaluer son agressivité. L’anatomopathologiste va compter les cellules en train de se diviser, et surtout décrire en langage courant leur forme. Par exemple, ils reconnaissent les cellules des cancers de la thyroïde à leurs noyaux en forme ‘de grain de café’. Ce type de description est essentiellement qualitative.
Le cancer du pancréas est un cancer de mauvais pronostic. Il touche plus de 2000 belges par an. Aussi bien des hommes que des femmes. C’est le 9e cancer le plus fréquent en Belgique. Moins de 14% des patients diagnostiqués sont encore en vie 5 ans après le diagnostic (chiffres Registre du Cancer 2020). Mon équipe travaille aussi sur les cancers de la thyroïde. S’ils sont en général peu agressifs, 5% d’entre eux sont invariablement fatals actuellement.
Depuis des années, on sait qu’il n’y a pas un cancer du pancréas mais plusieurs sous-types de cancer du pancréas. Toutefois, le diagnostic reste relativement vague. On sait également qu’une tumeur n’est pas constituée d’un seul type de cellules mais de différents types de cellules qui s’entremêlent et interagissent entre elles.
Suite à ses observations visuelles, l’anatomopathologiste va diagnostiquer le cancer et le sous-type de cancer. C’est un travail complexe mais très important car ce diagnostic va influencer le traitement. En effet, on ne traitera pas le sous-type A de cancer comme un sous-type B, par exemple.
Notre projet de recherche a pour premier objectif de passer du langage qualitatif et subjectif des anatomopathologistes à un langage mathématique beaucoup plus rigoureux. Pour cela, nous utilisons l’intelligence artificielle. Celle-ci est capable d’identifier et de regrouper par catégories les différents types de cellules sans notre intervention et ce de manière objective. Le deuxième volet de notre recherche vise à analyser comment ces cellules interagissent entre elles.
A terme, les diagnostics seront plus précis. Dans le cadre du cancer du pancréas, on espère identifier de nouveaux sous-types de cancer du pancréas et ainsi pouvoir améliorer la personnalisation des traitements. Mes recherches portent sur des tumeurs opérées. Si on pouvait appliquer cette méthode avant l’opération, lors d’une biopsie sous échographie par exemple, le médecin pourrait éviter une opération si la tumeur s’avère bénigne.
Quelle importance revêt le soutien de la Fondation contre le Cancer pour vos recherches ?
Nous bénéficions d’un soutien financier de 4 ans. Lorsque j’ai proposé mon projet en recherche fondamentale en 2020, j’allais explorer de nouvelles voies. Je me suis basé sur les connaissances existantes. Lors de ces 3 dernières années, de nouvelles opportunités technologiques ont émergé. Cela évolue très très vite. La Fondation contre le Cancer, nous permet de nous adapter et d’ajuster notre plan de départ pour explorer ces nouvelles opportunités.
Nous sommes dans une période où les opportunités technologiques sont énormes. Le problème, ce n’est pas quoi faire mais plutôt d’établir les priorités parmi de nombreuses approches qui sont potentiellement révolutionnaires. J’ai développé une approche spécifique, mais il y en a bien sûr d’autres.
Un message pour les donateurs ?
A l’heure actuelle, certains cancers sont beaucoup mieux soignés. Par exemple, la majorité des cancers pédiatriques sont devenus traitables. Et ces progrès sont un résultat direct de la recherche. Ce n’est malheureusement pas le cas pour d’autres cancers comme celui du pancréas. Soit on se satisfait de cet état des choses, soit on agit. La question est : comment agir ? Il n’y a qu’une seule démarche possible : mieux comprendre ces maladies. La seule voie pour avancer dans cette compréhension est la recherche fondamentale. Elle seule peut suggérer des modes d’action concrets exploitables ensuite en recherche translationnelle et clinique pour développer les traitements.
Je tenais à remercier les donateurs de la Fondation contre le Cancer. Je voulais leur dire que s’ils soutiennent la Fondation contre le Cancer, ce n’est pas par hasard. Ils ont probablement une histoire personnelle, tout comme moi, avec le cancer. Je les comprends, nous avons vécu la même chose. Leur contribution est indispensable pour nous chercheurs. Car pour avancer dans ma recherche, j’ai besoin de moyens techniques mais également de personnel. Grâce à eux, nous avançons dans la compréhension de la maladie tout en formant les jeunes chercheurs.