Par Suzanne Gabriels et Nora Mélard, expertes prévention tabac de la Fondation contre le Cancer
L’interdiction d’exposer des produits de tabac entrera en vigueur le 1er avril 2025
Cela signifie que les produits de tabac ne pourront plus être visibles dans le point de vente mais également de l’extérieur du point de vente. Elle s’applique à tous les points de vente accessibles aux particuliers, ainsi qu’à tous les produits de tabac, y compris les chichas et les cigarettes électroniques. À la demande d’une personne cliente (majeure), seuls les produits demandés lui seront présentés, et les produits non vendus doivent directement être remis en place. Les points de vente se sont préparés à cette interdiction d’exposition en installant des armoires ou en suspendant des rideaux.
Suite logique de l’interdiction de la publicité et de l’exigence d’un emballage neutre
Depuis 1999, la publicité pour le tabac et le parrainage (sponsoring) par le tabac sont interdits dans notre pays. Cela signifie que toute communication ou action visant directement ou indirectement à promouvoir la vente de produits de tabac est interdite, quels que soient le lieu, les moyens de communication utilisés ou les techniques employées.
Depuis 2020, notre pays dispose également du paquet neutre. À partir de cette date, tous les paquets de cigarettes ont pris une couleur vert-brun peu attrayante. C’était donc la fin des logos colorés et attractifs sur les emballages : un coup dur pour les stratégies marketing des fabricants de tabac.
À la suite de l’interdiction de la publicité pour le tabac et de l’introduction du paquet neutre, les fabricants de tabac sont devenus de plus en plus dépendants de la mise en évidence de leurs produits dans les points de vente afin d’attirer l’attention sur leurs produits et de stimuler les ventes. L’interdiction d’exposition est donc une nouvelle étape logique pour contrer l’attrait des produits de tabac auprès des jeunes.
Une mesure qui ne plait pas aux fabricants de tabac malgré les bénéfices pour la santé
Traditionnellement, les fabricants de tabac se sont toujours opposés à une interdiction d’exposition des produits de tabac, en mettant en avant l’argument qu’elle augmenterait la criminalité dans les commerces de détail, qu’elle mettrait en péril leur sécurité, réduirait leurs revenus, entraînerait des coûts supplémentaires et serait trop contraignante. Cependant, une étude néo-zélandaise n’a trouvé aucune preuve de ces effets secondaires indésirables cités par l’industrie du tabac. (1)
Les objectifs de cette mesure sont de réduire l’achat compulsif ou non-planifié de produits de tabac, et limiter l’exposition des jeunes à ces produits. A l’heure actuelle, les produits de tabac sont présents partout, et tout le temps. Il est difficile, dans ces conditions, de convaincre les jeunes que ces produits sont véritablement extrêmement nocifs pour la santé. Sans parler des personnes qui ont déjà réussi à se libérer du tabac et de la nicotine, et qui sont continuellement confrontés à ces produits, avec le risque de rechute que cela entraine. Réduire la visibilité des produits de tabac permet de dénormaliser leur consommation et de leur octroyer de moins en moins de place dans notre société, qui souffre encore terriblement de cette dépendance.
Cette mesure fait partie de la Stratégie interfédérale pour une génération sans tabac, dont l’objectif pour 2040 est d’arriver à réduire la consommation quotidienne de produits du tabac à 5% dans la population des 15 ans et plus, et à réduire le nombre de personnes s’initiant aux produits du tabac à (presque) 0%.
Le gouvernement prend en compte les (petits) commerçants
La Fondation contre le Cancer s’attend à ce que cette nouvelle mesure soit contestée par l’industrie du tabac, en ce compris de l’industrie de la cigarette électronique, mais également d’autres acteurs, tels que les magasins de journaux ou les magasins de cigarettes électroniques. Une stratégie courante de l’industrie du tabac consiste à pousser ces petits commerces à dénoncer publiquement les différentes mesures, tout en les aidant à s’y conformer. Avec le soutien des grands noms de l’industrie du tabac, ces commerces tireront donc la sonnette d’alarme et affirmeront que cette mesure aura un impact déplorable sur leurs ventes.
Cependant, la stratégie interfédérale pour une génération sans tabac prévoit que l’interdiction d’exposition et l’interdiction de vente dans les supermarchés de plus de 400m² entrent en vigueur simultanément. Cette dernière mesure pourrait inciter les personnes qui fument à arrêter, mais beaucoup risquent aussi de s’approvisionner ailleurs. Les magasins de journaux et les magasins de cigarettes électroniques pourraient ainsi justement voir leur chiffre d’affaires augmenter.
La Fondation contre le Cancer est satisfaite mais se demande pourquoi cela a pris autant de temps
Tout d’abord, la Fondation contre le Cancer tient à souligner qu’il n’y a pas de contradiction fondamentale entre la santé publique et l’économie. Après tout, sans santé, il n’y a pas d’économie florissante possible. Les signaux d’alarme provenant des fabricants de tabac doivent également être considérés sous cet angle plus large de l’économie (de la santé). Les exemples à l’étranger nous confortent dans l’importance d’une telle mesure :
Le gouvernement norvégien a introduit une interdiction d’exposition des produits de tabac en 2010. Sa mise en œuvre s’est déroulée sans difficulté. Philip Morris Norway a bien tenté de contester cette mesure devant le tribunal de district d’Oslo, mais a perdu le procès. (2) Les enquêtes sur le tabagisme en Norvège ont montré que cette mesure a permis de réduire le nombre de personnes qui fument de manière quotidienne, en particulier parmi les jeunes. En outre, un effet a été observé parmi les personnes qui avaient déjà arrêté de fumer. La probabilité de rechuter et de se remettre à fumer a diminué lorsque les produits de tabac n’étaient plus visibles dans les points de vente. (3)
En Nouvelle-Zélande, une telle mesure a été introduite en 2012. Une étude néo-zélandaise montre qu’il existe une relation dose-effet entre l’exposition aux produits de tabac dans les points de vente et le risque d’expérimentation du tabagisme chez les jeunes. En d’autres termes, plus les jeunes se rendaient dans des magasins présentant de grands étalages de produits de tabac, plus ils risquaient d’expérimenter le tabagisme.
Au Royaume-Uni, la mesure a été introduite progressivement entre 2012 et 2015. Une étude a montré que l’introduction de cette interdiction a été suivie d’une baisse de la notoriété des marques, ce qui a eu pour effet de réduire la susceptibilité au tabagisme chez les adolescents. (4)
Ces trois exemples à l’étranger, précurseurs dans l’introduction d’une interdiction d’exposition des produits de tabac, nous enseignent clairement que l’on peut atteindre les objectifs suivants avec une telle mesure :
- Réduire les risques que les jeunes ne commencent à fumer
- Dénormaliser les produits de tabac
- Faciliter la tâche des personnes ayant arrêté de fumer pour éviter la rechute
On se demande parfois pourquoi notre pays a mis tant de temps à prendre cette décision.
[1] https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/21849671/
[2] OSLO
[3] https://oda.oslomet.no/oda-xmlui/bitstream/handle/20.500.12199/5264/file77487_rapport_tobakk_4_august_2011.pdf?sequence=1&isAllowed=y
[4] https://tobaccocontrol.bmj.com/content/29/3/282